« Destinée manifeste »et mission évangélique, ou les fondements mystico-politiques d’une Amérique providentielle [publication]

L'exceptionnalisme politico-religieux aux Etats-Unis : un peuple élu par Dieu ?Ce mois-ci paraît l’ouvrage intitulé L’exceptionnalisme politico-religieux aux États-Unis : un peuple élu par Dieu ? (Artois Presses Université, 2016) auquel j’ai apporté ma contribution. Sans verser dans l’autopromotion, j’invite modestement celles et ceux qui aiment l’histoire et la géopolitique à découvrir cet ouvrage collectif, au contenu objectif, varié et documenté, qui fournit de nombreuses clés pour mieux cerner l’état d’esprit et l’attitude des États-Unis sur la scène internationale, à la lumière de leur héritage politique, moral et spirituel. Les études qui le composent sont réunies par Mokhtar Ben Barka, professeur de civilisation américaine à l’Université de Valenciennes et spécialiste de la religion aux Etats-Unis.

Je propose, pour ma part, une étude qui se situe au croisement de la géopolitique, de la missiologie, de l’histoire des idées politiques et religieuses, intitulée « Destinée manifeste » et mission évangélique, ou les fondements mystico-politiques d’une Amérique providentielle (48 pages).

Auparavant, j’avais posté sur ce blog un article dans lequel je présentais les aspects généraux de l’exceptionnalisme (« ses ressorts et facettes »). Dans l’étude contenue dans le présent ouvrage, le concept de « destinée manifeste », en tant qu’avatar de l’exceptionnalisme étatsunien, se trouve parmi les facteurs essentiels de maturation de la mission protestante évangélique. J’y retrace l’évolution géopolitique des États-Unis, des années 1830 jusqu’à l’après-Seconde Guerre mondiale, à travers la conquête de leur espace continental, d’une part, et l’envoi de leurs missions étrangères (congrégationalistes, presbytériennes, méthodistes et baptistes) dans le Pacifique, les Caraïbes et sur le continent asiatique, Moyen-Orient inclus, d’autre part. Celles-ci sont mues par la volonté de gagner les âmes à Jésus Christ conformément à la grande commission qu’il ordonna à ses disciples avant son ascension.

Les transformations sociopolitiques engendrées directement ou indirectement par ces missions dans les pays hôtes mais aussi dans la conscience religieuse et démocratique de leur propre pays furent significatives. L’étude s’appuie sur des discours, ouvrages et articles de l’époque écrits par des élus, pasteurs, leaders d’opinion, philosophes, hommes de lettres et scientifiques, pour la plupart jamais traduits en français. Les liens entre les conquêtes territoriales, « l’impérialisme culturel » et l’évangélisation (la missiologie) y sont analysés, dès lors que l’expansionnisme et la tentation de l’empire se parent du motif ou du prétexte missionnaire et civilisateur pour se réaliser.

De très nombreux articles et ouvrages en anglais et en français abordent l’histoire religieuse américaine principalement sous l’angle de l’ecclésiologie ; autrement dit à travers l’évolution des églises protestantes comme institutions religieuses organisées, légales et coutumières, leurs modifications internes et démembrements qui font du christianisme américain en général et de l’évangélisme en particulier un véritable kaléidoscope. Dans le jargon spécialisé, ce phénomène est couramment désigné par les termes « scissiparité » et « fissiparité ». En revanche, il m’a semblé, au cours de mes recherches et lectures, que les ouvrages et articles francophones qui explorent spécifiquement cette évolution à travers le prisme missiologique ; à savoir les « conquêtes spirituelles » ou « croisades pacifiques » concomitantes et ultérieures à la politique d’expansion coloniale (objet initial, intéressé et plus délimité géographiquement, de la « destinée manifeste »), sont moins nombreux.

Si les diverses expériences et réalisations des missions se télescopaient régulièrement aux XIX-XXe siècles avec les ambitions, enjeux et intérêts de la politique extérieure étasunienne, en revanche, l’alignement entre les objectifs respectifs des églises, des sociétés missionnaires et de l’État est loin de correspondre à une réalité aussi nette et constante que le grand public semble enclin à le croire. Mon étude commence par exposer le contexte de réalisation de l’idée structurante que constitue la « destinée manifeste ». Sa seconde partie montre la transition des États-Unis du statut de « sanctuaire », ainsi conçu depuis l’époque puritaine (XVIIe siècle), vers celui de puissance missionnaire mondiale, prélude à la sortie des États-Unis d’un isolement à la vertu longtemps mythifiée. Cette transition présente des permanences et des discontinuités idéologiques intéressantes et qui sont soulignées. Enfin, la troisième partie de l’article décrit la dernière phase de la « destinée manifeste » et l’apogée des missions (1870-1920), période au cours de laquelle la géopolitique américaine et l’évangélisation se déploient à l’échelle globale et leurs trajectoires parviennent de moins en moins à s’éviter.

L’étude s’attèle à explorer les biais et procédés par lesquels le contexte sociopolitique interne (étatsunien) de la « destinée manifeste », favorisant le développement du mouvement missionnaire, du christianisme social (Social Gospel) et de l’interventionnisme extérieur (diplomatique et politique), sous la poussée des théories relevant de l’anglo-saxonisme, du spencérisme, du dispensationalisme (dès le troisième quart du XIXe siècle) et du wilsonisme (années 1910), concourut à faire de l’Amérique une puissance morale globale, un vecteur de diffusion de valeurs démocratiques uniques et de l’Évangile, du début du XIXe siècle à l’après-Seconde Guerre mondiale – nouvelle ère marquant définitivement la fin de son isolationnisme.

L’histoire de la mission n’est pas qu’une histoire religieuse. À cet égard, l’article souligne sa dimension politique et ses réalisations séculières majeures faisant d’ailleurs bien plus souvent progresser les idées et conceptions présidant à l’émergence d’une conscience civile internationale que la foi et les idées proprement chrétiennes dans les régions atteintes.

Il va sans dire que cette étude ne prétend pas à l’exhaustivité. Plutôt que de chercher à épuiser le sujet, celle-ci prend le parti de questionner la perception commune, globalisante et négative, d’une Amérique missionnaire et d’une mission américaine dont les apports positifs et multiples sont souvent mal connus ou sont révisés à l’aune d’une vision idéologique actuelle intransigeamment libérale, relativiste et internationaliste, et ce, à grand renfort de réquisitoires rétrospectifs. L’idéal prophétique, le zèle et les approches théoriques ont parfois conduit, indéniablement, de nombreux hommes de foi à susciter des souffrances et des préjudices, à bouleverser des équilibres nationaux et identitaires délicats. Il ne s’agit pas de le nier. Les effets de la politique extérieure étatsunienne en ont eux-mêmes été très souvent la plus tragique et parfaite illustration. De la république fédérale et pluraliste, constitutionnellement laïque et d’inspiration judéo-chrétienne, aux errements du nouvel « Empire moral » ; ou du christianisme universel à l’universalisme libéral séculier, c’est l’Amérique et ses missions qui se métamorphosent, au rythme de l’histoire, autant sinon davantage que le monde qu’elles entendent transformer.

Chady Hage-Ali

Résumé de l’ouvrage : Les Américains ont la particularité de se vouloir et d’être véritablement différents, voire uniques ; c’est ce qu’on appelle « l’exceptionnalisme américain ». Cette spécificité, qui n’est pas nouvelle – vu ses origines puritaines – mais qui semble s’être accentuée au cours des dernières décennies, trouve sa confirmation dans de nombreux domaines, et tout particulièrement la religion et la politique, à la confluence desquelles s’est formée l’idée d’une Amérique providentielle et prédestinée. Ce volume entend explorer l’exceptionnalisme des États-Unis dans ses dimensions politiques et religieuses, en présentant la singularité structurante de cette posture pour les Américains.

Sommaire:
-Mokhtar Ben Barka, Introduction à la notion d’exceptionnalisme. La ‘religion civile’ en tant qu’illustration de l’exceptionnalisme religieux américain.
-Malie Montagutelli, La Destinée manifeste.
-Chady Hage-Ali, « Destinée manifeste » et mission évangélique, ou les fondements mystico-politiques d’une Amérique providentielle.
-John Chandler, Exceptionnalisme ? Barack Obama et la politique fondée sur la Foi.
-Nathalie Dupont, Religion et cinéma américain. Un exceptionnalisme parfois difficile à exploiter et à exporter.
-Charles Coutel, Exception américaine et régime démocratique : actualité de Tocqueville.

Informations sur :

le site de l’Institut d’étude des faits religieux (IEFR) : https://iefr.hypotheses.org/293

Artois Presses Université – Collection « Études des faits religieux » : http://apu.univ-artois.fr/Collections/Etudes-des-faits-religieux/L-Exceptionnalisme-politico-religieux-aux-Etats-Unis

Table des matières (pdf) : http://apu.univ-artois.fr/content/download/1466/10628/file/TDM_Exceptionnalisme.pdf

L’exceptionnalisme politico-religieux aux États-Unis : Un peuple élu par Dieu ?, Arras, Artois Presses Université, “Etudes des Faits Religieux”, 2016, 169 p.

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3 comments on “« Destinée manifeste »et mission évangélique, ou les fondements mystico-politiques d’une Amérique providentielle [publication]
  1. Anthon dit :

    Bonsoir Chady

    une lecture bien passionnante en perspective !! Votre présentation m’ a mis l’ eau à la bouche. Je m’ y attelle dès que possible.
    Pour faire un très, très (trop) court résumé, vous semblez dire que la politique (notamment étrangère) des U.S a et est fortement influencée par la religion (protestante-évangélique surtout). Mais, je me demandais justement si ce n’ était pas le contraire ?
    La mission chrétienne (telle que donnait par le Christ) n’ a t ‘elle pas été « pervertie » par la politique ?
    Mais bon, je n’ ouvre pas le débat 🙂 Je dois d’ abord lire le livre.
    Je reviendrais lorsque ce sera fait.

    Merci

    Bonne continuation
    Anthon

    J’aime

  2. Stratpolitix dit :

    Bonsoir Anthon,

    Merci à vous, j’espère sincèrement que l’article et l’ouvrage seront à la hauteur de vos attentes.
    Vous posez là une question complexe et essentielle que je traite d’ailleurs dans ma thèse mais qui n’est pas l’objet principal dudit article. Toutefois, celui-ci met en évidence – comme je l’ai écrit dans la présentation – l’absence d’alignement idéologique constant entre l’entreprise missionnaire et la politique étrangère américaine, à plus forte raison entre l’évangélisation et les politiques coloniales destinées à homogénéiser le territoire américain (autrement dit le nettoyage ethnique). Politiques contre lesquelles de nombreux missionnaires s’insurgèrent et tentèrent de sensibiliser l’opinion et les législateurs au sort des Amérindiens. Dans l’article, je mets surtout en exergue le poids des représentations collectives et les correspondances entre les idées expansionnistes et une certaine vision de la responsabilité chrétienne et du devoir moral de l’Amérique vis-à-vis du reste du monde. Mais je ne les confonds jamais et me garde, à juste raison, de tout amalgame.

    En fait, la « destinée manifeste » et l’idée d’une supériorité (ou d’exception) morale de l’Amérique ont façonné la psyché des religieux comme des hommes d’État de l’époque. Par conséquent, l’on retrouvera naturellement des similitudes ou des correspondances saisissantes dans leurs sermons et discours respectifs. Les missionnaires, dès le XVIIe siècle, étaient mus par une logique civilisatrice, ils considéraient qu’il fallait d’abord changer la culture – jugée « primitive », « barbare » voire « diabolique » – des indigènes avant d’espérer pouvoir les convertir au christianisme. Patriotes, ils acceptaient le principe de l’expansion coloniale et profitaient jusqu’à un certain point de cette dynamique pour étendre leurs activités évangélisatrices. Cependant, ils pouvaient être en profond désaccord voire en confrontation avec les méthodes employées par leur gouvernement et leurs paroissiens qui étaient de nature à aboutir au remplacement (par la spoliation, le refoulement ou l’élimination physique) des Amérindiens plutôt qu’à leur intégration au nom d’une fraternité et égalité en Jésus Christ. De toute évidence, le racisme était bien plus fort que la communauté de foi. Cela explique que même les Indiens convertis ne connurent pas un sort plus enviable que celui de leur semblables restés dans le paganisme. Les témoignages de l’époque révèlent des sentiments très ambivalents chez les missionnaires, des tiraillements que seule la radicalité des politiques gouvernementales aura finalement permis de trancher, de la manière la plus tragique et déplorable. Mais je ne vais pas plus loin et vous laisse découvrir cette partie de l’histoire dans l’article afin de vous faire votre propre opinion.

    L’influence politique des évangéliques a été fluctuante et relative. Les évangéliques n’ont pas toujours eu un pouvoir persuasif aussi fort qu’on a tendance à le croire. Dans l’ensemble – et je vous rejoins sur ce point – le gouvernement américain a bien plus souvent su exploiter la présence de ses missionnaires à l’étranger que les missionnaires n’ont été en mesure d’orienter les politiques gouvernementales dans le sens de leurs intérêts, c’est-à-dire en faveur de l’extension du christianisme. L’idéalisme religieux des évangéliques présents aux États-Unis s’est souvent heurté à une politique étrangère réaliste voire pragmatique et isolationniste. Certains présidents américains n’hésitaient pas à débouter des prédicateurs de leur demande insistante d’intervention américaine à l’extérieur. Je pense, notamment, au président Warren G. Harding.

    Traditionnellement l’Amérique n’intervenait que lorsque ses intérêts nationaux étaient en jeu (et c’était rarement le cas avant le premier quart du XXe siècle). C’est ce que les Américains nomment la « national security » (« sécurité nationale ») qu’on peut considérer comme le synonyme de « politique étrangère » et qui définit la projection de la puissance américaine à l’extérieur au service (et en fonction) de l’intérêt national. Par ailleurs, les évangéliques n’étaient pas toujours d’accord entre eux sur l’action politique à mener à l’étranger. Les missionnaires sur le terrain, en contact prolongé avec des cultures et religions diverses, n’avaient pas nécessairement la même appréciation du réel que celle, plus théorique, des prédicateurs restés en Amérique. Je n’irais pas jusqu’à dire que les missions ont été « perverties » par le pouvoir. Elles ont commis des erreurs dans leurs premières approches, pour le moins ethnocentriques et arrogantes, des autres cultures et religions. Erreurs qu’elles ont su plus ou moins corriger au fil du temps, mais ont surtout indirectement payé les conséquences psychologiques des politiques européennes puis américaines et l’assimilation irréversible du christianisme à la civilisation occidentale (de plus en plus détestée par les peuples du Sud à cause de ses politiques).
    Je vous laisse découvrir le contenu de l’ouvrage et j’aurai le plaisir de poursuivre cette discussion avec vous.
    Merci encore de votre intérêt Anthon.
    Bien cordialement,
    Chady.

    J’aime

    • Anthon dit :

      Merci Chady pour ces précieux éclaircissements … qui m’ ouvrent déjà d’ autres pistes de réflexions.
      Mais vous avez raison, n’ allons pas plus vite que la musique.
      Dès que possible, je lirai cet ouvrage, avec grand plaisir.

      Bonne continuation et à bientôt
      Anthon

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