Visite du président américain en Israël : gains politiques pour les uns, fin des illusions pour les autres

(Photo: Carolyn Kaster, AP)

(Photo: Carolyn Kaster, AP)

La continuité assurée et assumée

Il y est allé et, fidèle à lui-même, à ses talents d’équilibriste reconnus, ne s’est à aucun moment mis dans une position trop risquée. Pour sa toute première visite officielle de trois jours en Israël la semaine dernière, le président américain aura pris soin d’éviter de contrarier ses hôtes israéliens, préférant les bons sentiments et les hommages appuyés aux points de controverse sur lesquels le monde arabe l’attendait pourtant en ce début de second mandat. Loin de lui apporter les réponses espérées ou adéquates, son déplacement n’a eu pour seule ambition que de repartir du bon pied avec le premier ministre Benyamin Netanyahu (avec lequel ses relations étaient exécrables depuis 2009), de réchauffer et de resserrer les liens entre les deux administrations, de rappeler « l’alliance éternelle » entre l’Amérique et Israël, sur fond d’instabilité politique et de montée de l’islamisme dans la région, de guerre en Syrie et de menace nucléaire iranienne. Bref, dans un contexte où les périls régionaux exacerbés appellent d’urgence au raffermissement de « l’union sacrée ». Dans la foulée, le président, enhardi par ce très chaleureux accueil, s’est même payé le luxe d’arracher une réconciliation « inespérée » entre l’État hébreu et la Turquie en parvenant sur place à convaincre (selon la version officielle) le premier ministre israélien Netanyahu d’appeler son homologue Recep Tayyip Erdogan afin de lui « présenter ses excuses » pour l’assaut sanglant des commandos de Tsahal contre la flottille du Mavi Marmara le 31 mai 2010. Quitte à gâcher un peu la belle histoire, il est raisonnablement permis de subodorer que le processus de réconciliation avait commencé bien avant la venue du président. Sous ce rapport, la mission peut tout de même être considérée comme un franc succès diplomatique. L’on ne sera guère surpris, en revanche, par la maigreur de ce qui est ressorti des échanges avec le gouvernement israélien nouvellement formé, puis de la rencontre – beaucoup plus sobre – avec le président de l’Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas. La portée politique de l’événement reste donc globalement limitée, dissymétrique selon le point de vue.

Faire front commun, une priorité stratégique

Cette visite n’aura pas été foncièrement inutile comme certains commentaires affligés ont pu le laisser entendre. Le président Obama s’est montré certes moins soucieux de décliner un ensemble de pistes et de solutions concrètes, originales et courageuses à même de réanimer le processus de paix et de faire progresser la cause palestinienne que de rappeler une fois de plus à Israël qu’il n’a pas de meilleur allié au monde que l’Amérique. La principale information à en retenir est, pour ceux qui en douteraient encore, que les fondations de l’association israélo-américaine sont bel et bien stables, solides et pérennes, autant que peut être durable et rigide la ligne du gouvernement israélien sur la question des colonies, notamment.En cette période de turbulence, les E.U et les dirigeants israéliens reconnaissent qu’il est indispensable, dans l’intérêt de chacun, de faire table rase des petits malentendus et dissensions survenus ces trois dernières années, et d’œuvrer au renforcement du consensus autour d’objectifs prioritaires, au premier rang desquels la neutralisation du programme nucléaire iranien. Cette visite – abstraction faite du flot d’honneurs et des pompes qui l’ont entourée – a été avant tout une initiative hautement stratégique pour Obama, utile et bénéfique à plus d’un titre, d’abord à son image dans son propre pays, ensuite à la préparation des prochains actes que son équipe posera dans la région. Le président y a vu, en effet, une opportunité de contredire ses opposants républicains qui le soupçonnent, depuis son premier mandat, d’inimitié larvée envers Israël et lui reprochent de trop pencher en faveur des Palestiniens. En outre, le président a voulu en quelque sorte défricher le terrain afin d’offrir un sillage plus clair à son secrétaire d’État John Kerry, et surtout à son secrétaire de la défense Chuck Hagel, dont la nomination a été particulièrement chaotique et semée d’embûches. Le premier a déjà entrepris un périple dans le monde arabe et a pour lourde tâche de clarifier la position américaine sur le dossier syrien et de coordonner ses efforts avec les pays membres de la Ligue arabe en vue d’isoler Damas et de préparer la transition post-Bashar el Assad. Le second (Hagel) n’est pas tout à fait sorti de sa phase probatoire, et doit encore convaincre, par des faits concrets, qu’il agira dans le sens des intérêts d’Israël après avoir fait l’objet d’une obstruction parlementaire, somme toute symbolique mais malgré tout éloquente, lors de son grand oral au Sénat.

Des relations détendues, une compréhension et une confiance optimales constituent donc un préalable pour manœuvrer dans le délicat dossier iranien, et c’est la raison pour laquelle le président a souhaité débarrasser son équipe de tout élément (procès d’intention, soupçon ou rancœur) susceptible de parasiter ses prochaines initiatives. Le président américain a choisi le meilleur timing qui soit, au moment où le nouveau gouvernement israélien, dominé par la droite nationaliste et religieuse pro-colons, vient à peine d’être formé. Et si cette rencontre exhale des relents d’allégeance à Israël qui suscitent colère et indignation chez ceux qui attendaient un président plus combattif, opiniâtre, délié en ce début de second et ultime mandat, il est cependant difficile de faire grief à ce dernier de ne pouvoir davantage s’affirmer et peser sur les décisions internes israéliennes, et d’être contraint de suivre, plus ou moins docilement, la position majoritaire exprimée par les représentants du Congrès américain, démocrates et républicains confondus. Beaucoup estiment que l’aide globale apportée à Israël doit, au regard des circonstances actuelles, être plus forte et inconditionnelle que jamais. Les Israéliens ont été, en outre, assurés par le président que l’aide militaire annuelle accordée à Israël ne souffrira pas des récentes coupes effectuées dans le budget de la défense américaine, et ce jusqu’en 2017.

Barack Obama (source : site web AIPAC)

Barack Obama (source : site web AIPAC)

La Turquie, un appui nécessaire

Cette visite en grande pompe doublée d’une opération de séduction aura autant conquis le public israélien (auquel elle était spécifiquement destinée) qu’elle aura lésé les Palestiniens. La déception est somme toute relative puisque des communiqués avaient clairement prévenu que le but de ce voyage était « d’écouter » et non de (re)lancer une initiative de paix israélo-palestinienne. Le président Obama préférant insister, dans le temps limité qui lui était imparti, sur le cas de l’Iran et sur l’extrême vigilance et fermeté avec laquelle Washington entend gérer jusqu’au bout l’épineux dossier nucléaire. En tout état de cause, il eût été difficile, à la fois, en seulement trois jours, de redonner un second souffle à un processus de paix moribond depuis 2010 par le biais une énième feuille de route, d’élaborer une stratégie commune vis-à-vis de Téhéran (avec lequel la reprise des négociations est enclenchée mais reste timide et pour l’instant infructueuse), de trancher sur la manière de gérer ensemble les derniers rebondissements et enjeux sécuritaires soulevés par le conflit syrien (et l’inquiétude particulière exprimée par Israël quant à la possibilité que des armes chimiques tombent entre les mains d’islamistes engagés dans le conflit armé). La seule « surprise » de cet événement, c’est le « soudain » rapprochement entre Israël et la Turquie. Celui-ci n’est pas tout à fait anodin, au regard de la proximité de la Turquie avec le monde arabe, de sa diplomatie très active, de sa qualité d’acteur émergent, de sa frontière avec la Syrie, du capital sympathie significatif dont jouit Ankara auprès des masses arabes sunnites depuis son soutien affiché aux révoltes populaires en Tunisie, en Égypte et à présent en Syrie. Ces données font de son concours un élément incontournable dans la recherche d’une issue au conflit qui ronge son voisin et dans la stabilisation régionale. La Turquie est d’autant plus importante dans l’équation que l’Égypte, affaiblie, traverse une grande période d’instabilité politique et ne peut, par conséquent, jouer pour le moment un rôle diplomatique régional similaire à celui tenu à l’époque par le régime de Hosni Moubarak. Sans le Caire et Ankara, Washington et Israël se voient privés de deux appuis majeurs et peuvent difficilement gérer tous les problèmes de la région à la fois.

Le calcul d’Obama

Pour convaincre Israël de ne pas attaquer unilatéralement l’Iran, le président américain a, semble t-il, changé sensiblement de méthode en acceptant, du moins en façade, la possibilité que l’État d’Israël puisse être amené à prendre seul la décision d’une frappe préventive en dernier ressort (au cas où ses dirigeants considèreraient la menace d’un Iran possédant l’arme atomique imminente et la diplomatie inopérante). « Je ne m’attends pas à ce que le Premier ministre (Netanyahu) prenne une décision sur la sécurité de son pays et s’en remette pour cela à n’importe quel autre pays », a ainsi lancé le président Obama en réponse à un journaliste qui souhaitait savoir s’il avait demandé au PM israélien d’être plus patient avant une éventuelle frappe contre l’Iran. Cette réponse ne semble pas suffire à conclure que l’Amérique se démobilise ou que B. Obama ait changé d’avis sur les conditions, délais et modalités d’une intervention contre l’Iran, mais s’apparente à une feinte consistant à (faussement) laisser la plus grande latitude possible au PM israélien, tout en sachant pertinemment que ce dernier ne prendra pas le risque inconsidéré de faire peser sur ses seules épaules toutes les conséquences potentielles, régionales et internationales, d’une attaque en solitaire contre l’Iran. L’opération est trop complexe, hasardeuse et pourrait être suivie de lourdes représailles pour l’Amérique et ses alliés régionaux. D’un point de vue diplomatique, logistique et militaire, une telle décision pourrait s’avérer préjudiciable pour Israël qui n’obtiendrait pas forcément le soutien de la société internationale dans sa campagne militaire et n’aurait aucune garantie de succès tactiques permettant de mettre un terme au programme nucléaire. Par sa rhétorique détendue, sereine, presque stoïque, le président Obama montre qu’il a pris du recul par rapport aux anciennes provocations de B. Netanyahu dont il connaît désormais les mécanismes pour les avoir éprouvés. Peut-être est-il permis de penser (ou de faire le pari) que le président américain a sensiblement rééquilibré leurs rapports, parvenant même, sous certains angles, à prendre légèrement l’ascendant sur un Netanyahu moins flamboyant, réélu avec une avance moindre lors des dernières élections législatives marquées par la percée remarquable du parti centriste Yesh Atid et de la droite nationaliste religieuse. Les prochains échanges diplomatiques entre Obama et Netanyahu permettront sans doute de vérifier cette hypothèse.

Barack Obama quittant Israël

Barack Obama quittant Israël (source : site web AIPAC)

Les grands perdants de l’équation

Pour ce début de deuxième manche, les observateurs ont retrouvé un président (en apparence) plus consensuel, un État israélien traité aux petits oignons, et des Palestiniens lésés et dépités. Pourtant, le président Obama ne peut se voir reprocher de s’être formellement dédit : ce dernier n’a, en effet, pas fondamentalement changé d’opinion sur le problème, sa vision demeure toujours inspirée par la pensée d’une gauche américaine forgée autour du processus d’Oslo, incomparablement plus favorable aux Palestiniens que ne l’est droite conservatrice, et qui considère que l’expansion coloniale est « illégale », constitue un facteur de violence et l’obstacle principal, voire unique, d’une formule à deux États indépendants et vivant en paix côte à côte. Le président Obama a très exactement réitéré ses positions bien connues, énoncées lors de son lénifiant discours du Caire de 2009, mais sans tracer le moindre cap ou définir des contours susceptibles de montrer la voie à suivre. Il a mesuré ses mots, édulcoré sa critique qui est désormais aux antipodes de la tonalité de son discours de 2009 dans lequel il avait osé dire, avec une franchise jusqu’alors inédite – qui lui attira l’ire de nombreux Israéliens, dont Netanyahu – que « les États-Unis ne reconnaiss(ai)ent pas la légitimité des colonies israéliennes ». La semaine dernière, B. Obama a certes répété son opposition de principe à la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qu’il ne « considère pas comme constructive, adéquate, ou de nature à faire avancer la cause de la paix », affirmant croire encore à une solution binationale (sans expliquer comment y parvenir) à l’adresse d’une opinion palestinienne et arabe que l’on imagine désabusée et incrédule. Outre certains adjectifs qui fâchent, son discours a été largement purgé, à desseins, de précisions portant sur le tracé des futures frontières. Contrairement à ses premiers discours prononcés entre 2009 et 2011, le président américain, rattrapé par la cruelle réalité d’une bantoustanisation accélérée et quasi achevée dans les territoires, a sciemment évité de mentionner un futur État palestinien tracé sur la base des frontières de 1967, pas plus qu’il n’a placé le gel des colonies comme une précondition naturelle et logique à la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Ces formulations de plus en plus évasives tendent à démontrer que le temps des grands espoirs et des belles promesses est bien révolu, et que le président lui-même n’y croit plus vraiment. Le sentiment de « deux poids deux mesures », de « trahison », « d’hypocrisie », voire de « mascarade » ressenti par les Arabes reste donc, à juste titre, fort et affleure dans les réactions lues et entendues. Une cassure que le président américain aura bien du mal à résorber, même s’il le souhaite et s’y emploie ardemment dans un proche avenir. Alors que la promotion des processus de réconciliation politique ( dite « nationale ») reste l’un des enjeux fondamentaux pour la reconstruction des nations arabes en transition, les divisions politico-confessionnelles internes ne cessent pourtant de se creuser dans la région, en Irak notamment, et l’Égypte n’est pas encore totalement sortie d’affaire. Dans le champ palestinien, la politique telle qu’elle est aujourd’hui menée par Israël avec l’assentiment américain, risque hélas d’hypothéquer durablement une éventuelle réconciliation entre le Hamas et le Fatah, seul partenaire des négociations et autorité reconnue par Israël, qui s’affaiblit à mesure que le processus de paix piétine, et perd du terrain en faveur des mouvements islamistes. Quant au Hamas, parti islamiste historique palestinien, celui-ci subit aussi les effets de cette impasse, et voit de nouveaux groupuscules salafistes encore plus radicaux émerger, défier son autorité et prendre l’initiative de tirs de roquettes (comme lors de la visite du président où ces derniers ont tiré deux projectiles, dont l’un est tombé dans la cour d’une maison de Sdérot, l’autre dans un champ).

Les Palestiniens sont perdants sur toute la ligne. Les développements du « Printemps arabe » ont détourné le peu d’attention dont ils bénéficiaient encore mais qui n’a cessé de s’éroder depuis 2007.  L’ Europe quant à elle, s’est lassée de ce problème insoluble dans lequel elle s’est largement et depuis longtemps décrédibilisée, et qu’elle préfère commodément ignorer. L’ Amérique se montre plus préoccupée par la lutte antiterroriste et par l’Iran. Le président Obama est venu enterrer les dernières illusions du discours du Caire. Il ne rentre cependant pas bredouille à la Maison blanche. La Turquie et Israël se rapprochent après trois ans de froid diplomatique qui, contrairement à ce que la posture revancharde et les diatribes chroniques du président turc à l’égard d’Israël et du sionisme ont pu laissé croire, ne se sont toutefois pas traduits dans les faits par une rupture totale des relations diplomatiques, des échanges commerciaux et de la coopération militaire entretenus de longue date ces deux alliés stratégiques de Washington dans la région. Le « réchauffement » des relations de B. Obama avec B. Netanyahu n’efface pas le fait que les tempéraments des deux hommes s’opposent diamétralement et que leurs désaccords sur la colonisation demeurent. Ils sont obligés, sans doute malgré eux, de s’entendre ou de faire semblant, de se concerter, de s’épauler, en tous cas de mettre de côté leurs différends au nom des intérêts supérieurs et de la relation inaliénable entre leurs deux pays.

Chady Hage-ali

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Publié dans Diplomatie, droit international, géostratégie, Proche Orient
2 comments on “Visite du président américain en Israël : gains politiques pour les uns, fin des illusions pour les autres
  1. Vraiment sympa ton blog! les articles sont pertinents et de qualité je trouve! je lance moi aussi un blog et j’espère pouvoir arriver au même résultat un jour 🙂

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  2. Carlos Vaughn dit :

    Very creaative post

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