
Les présidents Barack Obama et Macky Sall, au Palais présidentiel du Sénégal (photo : Reuters)
Note de l’auteur : les dimensions que revêt la tournée africaine du président américain sont nombreuses et difficilement traitables dans un seul texte. J’ai eu la chance de me trouver au Sénégal lors de la visite du président Obama et j’ai pu mesurer la température du pays et apprécier la diversité des sentiments que celle-ci a suscitée. Par conséquent, j’ai fait le choix d’écrire deux articles sur le thème « États-Unis/Afrique » dont les contenus se complètent. Le présent article met l’accent sur la portée symbolique et les gains diplomatiques de cette tournée. Une prochaine analyse (qui sera publiée sous peu) s’appesantira sur les perspectives économiques et géostratégiques de la nouvelle politique américaine sur le continent. Bonne lecture et merci de votre visite.
Les bons élèves de la démocratie à l’honneur
Quatre ans après son unique visite en Afrique, au Ghana, Barack Obama a choisi de se rendre au Sénégal, en Afrique du Sud et en Tanzanie du 26 juin au 3 juillet 2013 pour sa première – et tardive – tournée africaine. Celle-ci est placée sous le signe du soutien américain aux « démocraties solides et émergentes ». Le choix des pays retenus dans ce panel peut surprendre à première vue, mais fait vite sens tant ceux-ci sont représentatifs de la diversité africaine et concentrent les principaux défis qui attendent le continent noir. Chacun de ces États a déjà fait la preuve, à hauteur de ses moyens, de sa volonté d’améliorer ses résultats en matière de démocratie, de libertés fondamentales et de sécurité. L’aspect commun le plus saillant entre ces trois acteurs africains, du reste culturellement très éloignés, réside dans la solidité de leurs institutions démocratiques et dans leur stabilité politique, fruit de l’héritage des Pères de leurs nations : les présidents Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela et Julius Nyerere. La présence du Sénégal, seul pays francophone du lot, détonne à plus d’un titre, en se distinguant de l’Afrique du Sud et de la Tanzanie par sa faible superficie, son sol très pauvre en ressources minières et son poids insignifiant dans l’économie mondiale. Les trois pays de cette tournée ne possèdent ni le même rayonnement ni le même niveau de richesses, mais ont su maintenir, grâce à leurs politiques macro-économiques, une croissance positive et amortir les effets de la crise mondiale. Les États-Unis souhaitent les encourager à poursuivre leurs efforts entrepris notamment en termes d’assainissement budgétaire et de transparence.
Les leviers de la consolidation des acquis démocratiques
La création d’emplois, l’amélioration de la mobilité sociale et de la répartition des richesses constituent quelques uns des défis essentiels à relever, car l’absence de perspectives pour des populations très jeunes est un fixateur des conflits sociaux, de la violence et de la radicalisation, et menace de faire dévier les pays africains de leur trajectoire de croissance. Le développement de l’industrie, secteur lacunaire mais capital pour l’avenir des économies ouest-africaines, concourant à la réduction de leur dépendance externe, n’a pas, cette fois encore, fait l’objet de propositions remarquables de la part du président Obama, ce dernier privilégiant la « régénération du commerce et l’emploi » sur le continent, et annonçant laconiquement la préparation d’un nouvel accord d’investissement avec la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Cela dit, l’industrialisation, si elle créé de l’emploi, permet d’accéder à l’autosuffisance alimentaire et rééquilibre la balance commerciale, ne résout pas tout. La répartition des richesses figure parmi les plus grandes plaies du continent noir et explique, par exemple, en grande partie, le creusement des inégalités sociales criantes au sein de la société sud-africaine, pourtant puissance industrielle. Le développement économique et social du continent que s’assigne Washington comme objectif à plus long terme, dans le cadre de cette « nouvelle » coopération USA/Afrique, dépend indéniablement de la conjonction de facteurs que sont la poursuite de la modernisation des institutions de l’État et du marché du travail, le développement de l’agriculture, la mise en place d’un nouveau paradigme commercial plus juste et ouvert, et la dotation des États en moyens répondant aux besoins de sécurisation des citoyens et des ressources (objectif à atteindre à très court terme et sur lequel les Américains veulent mettre l’accent depuis le déclenchement du conflit malien ). En somme, les trois pays visités par le président Obama ont encore de nombreuses lacunes et failles à combler dans tous les domaines. Une augmentation de l’aide publique américaine ne suffirait pas à remédier à ces problèmes structurels et à se substituer aux défaillances des États et à l’inefficacité de leurs politiques publiques. Mais ces freins et difficultés socio-économiques n’empêchent pas Washington de considérer que chacun de ces pays représente un pivot stratégique à l’Ouest, à l’Est et au Sud du continent, un partenaire fiable et digne de confiance, disposant d’atouts variés, notamment d’un secteur privé très dynamique (dans lequel Washington dit vouloir investir) et de réalisations probantes en matière de bonne gouvernance et de démocratie à même d’inspirer leur voisinage. Le choix de visiter le Sénégal éclaire particulièrement sur la volonté de Washington de modifier graduellement une approche qui ne peut désormais se fonder uniquement sur l’intérêt énergétique ou commercial, à l’heure où les facteurs de la puissance évoluent, se diversifient et appellent à une refondation des concepts et des méthodes.
Un plus grand intérêt américain pour une diplomatie africaine forte
Certes, le Sénégal ne bénéficie pas des mêmes ressources naturelles (métaux précieux stratégiques et hydrocarbures) que les deux autres pays anglophones, enregistre une faible productivité et exporte très peu malgré un taux d’industrialisation honnête voire supérieur à son voisinage proche, tandis que la Tanzanie est le quatrième exportateur d’or du continent et ses perspectives de croissance sont très positives, grâce notamment à la découverte de gisements de gaz et de pétrole [1]. L’ Afrique du Sud est le premier producteur mondial de platine, le deuxième producteur d’or (un quart des réserves mondiales) après la Chine et le cinquième producteur de diamant. Son territoire recèle également de réserves d’uranium, de cuivre, de houille (utilisée pour sa fourniture électrique nationale) et de nickel. Cela dit, tout riches en ressources naturelles qu’elles soient, la Tanzanie et l’Afrique du Sud disposent d’une infrastructure industrielle encore très perfectible (dans le secteur extractif principalement) qui ne permet pas encore d’exploiter leur plein potentiel énergétique, et, quoique ces deux pays figurent dans la liste des dix pays africains gérant le mieux les revenus issus de l’industrie extractive, ils ne sont pas encore au niveau des pays scandinaves, européens et des autres pays émergents [2]. Faisant partie des pays de l’initiative PPTE (pays pauvres et très endettés), le Sénégal peut néanmoins se prévaloir d’autres atouts sur lesquels Washington commence à porter un intérêt certain. Ce pays représente en effet un pivot de stabilité exceptionnel dans la région ouest-africaine et dispose de suffisamment d’expérience en matière de gestion des conflits et de médiation en particulier pour jouer un grand rôle dans les relations internationales et promouvoir des valeurs que l’Amérique souhaite voir s’étendre dans la région. Interrogé sur les retombées de cette visite au Sénégal, le président sénégalais Macky Sall a déclaré fièrement et sans doute un peu trop précipitamment : « La visite d’Obama a permis de repositionner notre pays sur la scène diplomatique (…) Le séjour du chef de l’État américain, premier président noir des États-Unis, a aussi permis de montrer, si besoin en était, que la puissance diplomatique et l’influence d’un pays n’étaient pas forcément proportionnelles à sa richesse »[3]. Une déclaration dont l’enthousiasme est compréhensible mais qui mérite cependant d’être relativisée, car si la voix du Sénégal compte indubitablement au sein de la Cédéao et des enceintes de l’Union africaine, celle-ci ne porte pas, pour l’instant, davantage que celle des autres pays de la région subsaharienne que sont la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mali, le Nigeria, le Ghana ou le Liberia pour ne citer qu’eux. Le Sénégal partage une influence diplomatique ni inférieure ni supérieure à celle de ses partenaires ouest-africains tant qu’il reste dans un tel cadre multilatéral. Quand bien même le Sénégal souhaiterait agir de manière « plus autonome » voire unilatérale à l’extérieur de ses frontières, le talent de ses diplomates ne compenserait pas à lui seul des moyens financiers et militaires dérisoires qui ne tarderaient pas à le ramener à la réalité. Ses performances économiques ne lui permettent pas de s’imposer sur un quelconque grand dossier régional sans une concertation préalable et a fortiori une coopération avec ses voisins, comme l’a démontré la gestion de la sévère crise au Mali. L’Afrique, dans son ensemble, n’a pas encore su bâtir une diplomatie qui parle au nom de tous ses États. À ce propos, il convient de rappeler qu’au G20, c’est toujours l’Afrique du Sud qui représente le continent et parle en son nom sur la scène internationale, bien que sa situation ne puisse résumer celle des autres peuples africains. L’ Afrique est encore écartée d’un système mis en place par les puissances occidentales, États-Unis en tête, qui favorise la voix des puissants et fait perdurer chez les opinions africaines le sentiment de subir davantage les décisions que de participer activement aux processus qui engagent leur avenir.
Retrouvailles diplomatiques afro-américaines et « retour aux sources » pour le président
Les dirigeants sénégalais, hauts fonctionnaires et magistrats se targuent volontiers du prestige, et non des moindres, de n’avoir jamais connu de coup d’État (ou d’avoir su en éviter) et surtout d’avoir expérimenté deux alternances politiques pacifiques en dépit de difficultés économiques qui traversent le pays depuis son indépendance en 1960. Le défi du Sénégal, du fait de ses lacunes structurelles, est donc de capitaliser sur sa vitalité démocratique et son sens légendaire du dialogue pour accroître son attractivité, parallèlement à ses réformes institutionnelles, foncières et agricoles qui lui permettront de bâtir une économie stable et d’améliorer le niveau de vie d’une majorité de la population vivant sous le seuil de pauvreté, malgré une croissance annuelle oscillant entre 4 et 5% (soit un ou deux points en dessous de la croissance des autres États visités par le président Obama). Des chiffres qui n’ont désormais rien d’exceptionnel (et ne conduisent pas non plus aux mêmes résultats en termes de développement économique) si l’on considère que ceux-ci se situent dans la moyenne des pays subsahariens qui ne sont ni en guerre ni en crise politique persistante. Last but not least, le choix de visiter le Sénégal et l’Afrique du Sud n’est pas anodin pour un président désireux de donner à sa tournée des airs de pèlerinage, en rendant hommage aux souffrances de l’Afrique et à l’héritage de Nelson Mandela – qu’il désigne comme l’un de ses « héros personnels » et dont l’ombre n’a cessé de planer sur chaque étape de la tournée. Le Sénégal et l’Afrique du Sud abritent en outre des hauts lieux de la mémoire africaine et universelle, à forte charge émotive : l’île de Gorée et l’île de Robben island où le président Obama a pu se recueillir. Le premier endroit rappelle la traite négrière et le second la discrimination raciale du système de l’Apartheid, dont le prisonnier le plus célèbre fut Nelson Mandela. À Gorée, le président Obama et sa famille (son épouse Michelle, leurs filles Sasha et Malia, sa belle-mère Marian Robinson, et sa nièce Leslie Robinson) ont visité la célèbre et incontournable Maison des esclaves. Il n’a pas échappé au président américain et à ses conseillers qu’en tant que métis né d’un père africain, il était attendu de lui dans ces pays et dans ces endroits remplis d’histoire quelque chose de plus qu’une courtoisie protocolaire ou qu’un passage obligé auquel s’étaient pliés avant lui les couples Bill et Hillary Clinton en 1998 et George W. et Laura Bush en 2003.
Un enthousiasme mesuré, mais une fierté palpable
Au « Pays de la Téranga », le président Obama n’arrivait pas vraiment en terrain conquis. Quelque peu désabusés, les Sénégalais dans leur ensemble n’avaient pas manifesté un vif enthousiasme en apprenant sa venue, considérant (du moins au tout début) que cet événement allait leur apporter plus de contraintes et de nuisances que d’opportunités concrètes pour le pays. Les habitants de Gorée redoutaient quant à eux, à juste titre, des perturbations dans leur vie paisible provoquées à chaque visite d’un président américain sur cette minuscule île de 1500 âmes. Cette fois encore, Gorée n’a pas échappé aux traditionnelles et pharaoniques mesures de sécurité qui la transforment en forteresse coupée du monde. Une situation pénible dont témoignent volontiers les habitants de l’île qui avouent se sentir méprisés, humiliés et – comble de l’ironie – presque « réduits en esclavage » chez eux lorsqu’un président américain y pose le pied. Heureusement, en dépit de cet important dispositif, les habitants n’ont pas été contraints cette fois de rester cloîtrés dans leurs maisons ou parqués de force sur une place de l’île comme ce fut le cas lors de la visite du président Bush – qui a laissé aux Goréens, et de loin, le souvenir le plus amer. Le président Obama a su, au contraire, se montrer une fois de plus fidèle à l’image qu’il donne de lui depuis sa première élection, celle d’un homme simple, chaleureux, proche du quidam. Le président s’est même offert un petit bain de foule rythmé au son des tam-tams. Une façon d’agir qui, à en croire les témoignages parus dans la presse locale, aurait particulièrement touché les habitants présents pour l’accueillir. Même s’ils ont beaucoup moins exulté qu’ils ne l’auraient sans doute fait il y a quelques années, les Sénégalais n’ont pas été peu fiers de la primeur qui leur a été accordée, doublée d’un coup de projecteur bienvenu pour leur pays qui vit essentiellement du tourisme. Pour le coup, Dakar a bien porté son surnom de « porte de l’Afrique » (« Bountou Afrique » en wolof) donné par ses habitants, au regard de sa façade atlantique qui en fait la porte d’entrée privilégiée et naturelle en Afrique de l’Ouest. La personnalité sympathique du président Obama a finalement eu raison des réticences et grincements de dents, mais les Sénégalais restent toutefois partagés sur les gains de cette visite.

Moment immortalisé lors de la visite de B. Obama sur l’île de Gorée le 27 juin 2013. Cette image de Barack Obama portant un bébé a fait le buzz sur la toile et a attendri plus d’un Sénégalais (AP Photo/Evan Vucci).
Force est de constater que les badauds interrogés dans la rue ont manifesté peu d’intérêt voire parfois une complète indifférence par rapport à l’événement car les conditions de vie d’une majorité de Sénégalais ne connaissent pas encore d’amélioration significative et les citoyens ne s’attendent guère à ce qu’un président américain, aussi bienveillant et à l’écoute soit-il, apporte une solution miracle à leurs préoccupations quotidiennes. La relance de l’économie se fait attendre même si les mesures entreprises par le président sénégalais Macky Sall en matière de bonne gouvernance et de lutte contre l’enrichissement illicite sont globalement bien comprises et approuvées par la population. La visite de B. Obama représente un satisfecit total pour le 4ème président de la république sénégalaise, et une consécration pour la politique qu’il mène. Ces mesures, si elles ne suffisent pas à régler les problèmes du Sénégal (cherté de la vie, chômage, problèmes d’électricité) sont nécessaires après une décennie marquée par une concussion sans précédent durant la présidence d’Abdoulaye Wade. Un climat délétère qui avait fini par couper les élites du peuple. Les commerçants et acteurs du secteur touristique semblent malgré tout considérer que le contrecoup de la traque contre les biens mal acquis initiée par M. Sall affecte le climat des affaires et les investissements directs au Sénégal, soumettant dorénavant les transactions et flux financiers à des contrôles plus stricts. Ceci serait une pure vue de l’esprit à en croire les déclarations du ministère sénégalais de l’Économie et des Finances qui assure au contraire que ces mesures sont « très bien vues par les grandes institutions financières internationales ». Le ralentissement de l’activité économique n’en est pas moins ressenti au quotidien par les principaux intéressés. Macky Sall peut s’enorgueillir des circonstances de son élection et profiter au maximum de l’appréciation positive, à l’extérieur, de son action en faveur d’une Justice plus libre, indépendante et efficace dans son pays, car sans cette image avantageuse et en phase avec la vision idéaliste de l’Afrique portée par Barack Obama, le Sénégal n’aurait pas ou très peu suscité l’intérêt de Washington. Le légalisme austère de Macky Sall lui a jusqu’ici porté chance au point qu’il pourrait être tenté d’en user et d’en abuser pour rester au tableau d’honneur. Hasard ou coïncidence, l’annonce de la garde à vue le dimanche 30 juin 2013 au matin de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, accusé de crime contre l’humanité – et qui était protégé par le régime Wade durant son exil au Sénégal – est tombée à peine deux jours après que le président Obama a quitté Dakar. Le procureur général près les Chambres africaines extraordinaires, Mbacké Fall, en se défendant devant les médias d’avoir été soumis à une quelconque hiérarchie, a assuré que l’arrestation de l’ex président tchadien avait été préparée avant la venue de Barack Obama, mais aurait été retardée à cause d’un manque d’effectifs (de forces de sécurité mobilisées justement pour cette occasion). Quoi qu’il en soit, une telle nouvelle ne peut qu’enchanter Barack Obama, lequel n’avait pas manqué durant son séjour dakarois de féliciter l’État sénégalais pour son rôle actif dans ce dossier.
Le symbole d’une alliance réaffirmée
Lorsqu’il s’agit d’apprécier les retombées de cette visite d’un strict point de vue diplomatique, les Sénégalais sont bien plus unanimes et reconnaissent que celle-ci permet au Sénégal de se positionner comme un pays où il fait bon vivre, travailler et investir. Ils la perçoivent comme une marque de confiance restaurée après un rafraichissement notable des relations entre l’ancien président Abdoulaye Wade et la première administration Obama. L’attitude du gouvernement de l’ancien avocat et pape du parti d’opposition « Sopi » (« changement » en wolof) avait été épinglée par Washington, alarmé par les reculs constatés dans de nombreux domaines : la corruption à tous les échelons (dont une tentative grossière, restée dans les annales, de soudoiement par l’État sénégalais d’un agent du FMI en 2009), la centralisation des pouvoirs conjuguée à d’incessants détricotages de la Constitution, les accents répressifs du gouvernement envers l’opposition (arrestations arbitraires, menaces, intimidations), sans oublier le projet qui lui était imputé de dévolution monarchique du pouvoir à son fils, Karim, alors ministre d’État, de la Coopération et des Transports (et purgeant actuellement une peine de prison). Il s’agit sans doute de l’un des aspects ayant le plus pesé en sa défaveur dans le résultat des urnes aux dernières élections. La répétition de ces faits du Prince, symptomatiques d’un insidieux glissement du clan Wade vers un système présidentialiste et une gestion patrimoniale de l’État, n’était pas du goût de Washington qui décida, pour marquer son mécontentement, de ne pas inclure en 2011 le président Wade dans la liste des quatre chefs d’État africains auxquels la Maison blanche accorde une audience annuelle. Une décision qui aurait été très mal vécue par A. Wade, libéral revendiqué, néo-atlantiste et ami proche de George W. Bush, qui s’est toujours perçu comme un « sage de l’Afrique », un « bâtisseur de l’Union africaine » doublé d’un « visionnaire » plaidant sans relâche au sein de l’UA pour un gouvernement continental. Les Sénégalais, sortis de l’ère Wade et des dérives de son clan, reconnaissent toutefois à l’ancien président quelques réalisations positives incluant la modernisation des infrastructures routières, et lui savent gré de l’énergie qu’il a su déployer pour donner au Sénégal une plus grande visibilité sur la scène diplomatique régionale, continentale et internationale. Tous se souviennent notamment de sa médiation dans la crise malgache et sa participation active aux négociations avec les autorités iraniennes pour libérer la Française Clotilde Reiss)[4]. L’entente entre les présidents Obama et Sall indique qu’une nouvelle page s’ouvre dans les relations bilatérales entre Washington et Dakar, et marque également un timide début de réparation du « splendide isolement » de l’Afrique, grande oubliée de l’agenda diplomatique de B. Obama durant son premier mandat.
Une tournée africaine tout en contrastes
L’arrivée du président américain en Afrique du Sud le samedi 29 juin a naturellement été plus sobre, les Sud-africains n’ayant pas le cœur à la fête et se préparant à l’annonce du décès de l’ancien président Nelson Mandela, hospitalisé dans un état critique. La « Rainbow nation » se trouve à un tournant de son histoire post-apartheid et d’aucuns avouent leur inquiétude quant à l’avenir de ce pays où les inégalités sociales font rage, le chômage atteint 25%, la criminalité bat son plein, et où les discours et idées racistes émanant de suprémacistes blancs ou noirs connaissent une résurgence (leurs leaders jouant perfidement sur les inégalités et sur la peur de possibles futurs « massacres » pour attiser la paranoïa et la haine). Le premier président américain d’origine africaine arrive au moment où le dernier géant d’Afrique, dont l’héritage et l’image ont servi de fil conducteur à sa tournée diplomatique, est sur le point de tirer sa révérence et de laisser son peuple orphelin. La photo de leur rencontre eût été belle, mais l’important est, pour le président Obama et le président sud-africain et chef de l’ANC, Jacob Zuma, de renforcer le partenariat entre leurs deux pays et de maintenir l’unité du peuple sud-africain pour surmonter les temps difficiles que ce dernier s’apprête à connaître. En Afrique du Sud, comme au Sénégal (et peut-être même davantage dans le second), la portée philosophique, morale et sentimentale de la visite du président Obama supplante les points de préoccupation majeurs, bien que Washington n’entende pas les négliger pour autant [ nda : ces points feront l’objet d’une analyse plus détaillée dans la prochaine partie de cet article].
Les contextes africain et sud-africain sont à l’image de la symbolique qui entoure la tournée de Barack Obama : chargés de contrastes et de parallélismes, fortuits ou voulus, invitant à des sentiments contradictoires. La joie des retrouvailles ne voile pas totalement le fond de rancœur qui subsiste après des années d’indifférence de B.Obama à l’égard d’un continent qui peine, malgré des indicateurs économiques rassurants voire prometteurs, à dominer sa vision pessimiste de l’avenir. Ce spectre d’éléments ponctue le caractère doublement inaugural de cette tournée. D’une part, parce que censée symboliser une « rupture » avec les anciennes méthodes et qui reste, malgré sa force d’évocation, en demi-teinte. D’autre part, parce qu’elle concerne des pays africains qui sont eux-mêmes clivés, en pleine transition culturelle, politique et économique, et qui ont, par conséquent, plus que jamais besoin de bâtir de nouveaux repères, de maintenir un lien social précaire, de croire aux vertus du travail et à la réussite (qu’incarne magistralement B. Obama par son parcours et son ascension fulgurante), de tourner le dos au fatalisme et aux habitudes néfastes qui, jusqu’à présent, minent le continent. Des nations qui devront, à chaque grande étape de leur progression, se remémorer le prix et l' »amère saveur de la liberté », dont parlait le poète sénégalais David Diop. Une amertume que Nelson Mandela et d’autres leaders africains goûtèrent tout au long d’un difficile combat de libération, de réconciliation et de rassemblement de leurs peuples autour d’un projet de société commun. Washington, en exigeant des Africains une plus grande responsabilité, une prise en main plus active de leur destin, doit également entendre l’appel d’une génération africaine qui, sans éprouver d’animosité envers l’icône vivante que représente à ses yeux la personne de Barack Obama, attend désormais des Américains une politique étrangère qui élargisse le spectre de son action sur le continent en n’axant plus exclusivement ses choix sur ses intérêts géostratégiques, dits « impérialistes », et surtout, qui ne les impose plus en usant du chantage des sanctions ou de la force. Une politique en somme plus équitable et proche des aspirations des peuples émergents. Les manifestations anti-Obama qui ont éclaté à Soweto quelques heures avant l’arrivée du président américain reflètent bien l’idée que l’élection d’un descendant d’Africains à la tête de la première puissance mondiale, aussi exceptionnelle soit-elle dans l’histoire de l’Amérique et du monde occidental, n’est qu’un symbole politique, et en tant que tel, n’a de valeur que par l’action qu’il initie pour amorcer une ère nouvelle. L’ Afrique du Sud est elle-même une terre de contrastes et de tiraillements, appartenant au club des « BRICS », mais dont une partie importante de la population continue de souffrir de maux semblables à ceux des peuples du tiers-monde, ainsi que d’une paupérisation transraciale qui voit peu à peu émerger une conscience de classe commune. L’ Afrique du Sud se rapproche des standards démocratiques et économiques occidentaux tout en étant un membre important du mouvement des non-alignés et en revendiquant son africanité. Sa conscience populaire, naturellement encline à fustiger l' »hégémonie occidentale », se heurte encore au positionnement réaliste, pro-occidental, de l’Etat sur les grandes questions internationales. Fait particulièrement illustratif, le gouvernement sud-africain a tenté de résister tant bien que mal aux pressions américaines pour maintenir (sans succès) ses relations commerciales avec la République islamique d’Iran, partenaire ayant toujours été idéologiquement aux côtés de l’ANC durant son combat contre l’Apartheid. L’Afrique du Sud continue de soutenir la cause palestinienne tout comme le droit de l’Iran à disposer du nucléaire civil même si elle a dû renoncer, à contrecœur, début 2012, sous la menace américaine, à ses importations de pétrole brut provenant d’Iran[5]. L’harmonisation de toutes les vues et influences qui traversent sa société et sa classe dirigeante, reste donc un chantier majeur et inachevé qui attend l’Afrique du Sud dans les mois et années à venir.
(deuxième partie de l’article prochainement publiée)
Chady Hage-Ali
Stratpolitix
[1] Pour plus de données sur les performances économiques de la Tanzanie et des autres pays visités par le président Obama, consulter le site africaneconomicoutlook.org qui combine l’expertise de nombreuses institutions régionales et internationales comme la BAD, l’OCDE et le PNUD : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/a-propos/
[2] Voir le rapport « Ressource Gouvernance Index 2013 » du think tank américain Revenue Watch : http://www.revenuewatch.org/sites/default/files/rgi_2013_Eng.pdf. Les pays africains figurent parmi les plus mauvais élèves en matière de gestion des revenus issus de l’industrie extractive, même s’ils font globalement mieux que les pays arabes. Sur 58 pays du monde, l’Afrique du Sud est classé 21ème (parmi les pays dont le score est jugé moyen) et la Tanzanie 27ème (catégorie faible). Ils sont précédés par le Ghana, le Nigéria et la Zambie (respectivement 15ème, 16ème et 17ème du classement).
[3]Macky Sall : « la visite d’Obama a permis de repositionner notre pays sur la scène diplomatique », Agence de presse sénégalaise (APS), 28/06/2013 [en ligne]. http://www.aps.sn/articles.php?id_article=115299
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